Laudatio du Prix Jean Dumur 2024

Isabelle Ducret

 Laudatio du Prix Dumur 2024 - Isabelle Ducret

 

Chère Isabelle Ducret,

Chère consœur,

Un aveu en préambule : je m’autorise à parler de vous sans vous avoir rencontrée, sans avoir eu le moindre contact, bref, sans vous connaître. Je n’ai pu vous approcher qu’à travers d’autres yeux, sources auxquelles j’ai promis une protection absolue, ainsi que le veut la déontologie de notre métier.

Néanmoins, comme avec certains auteurs, peintres ou musiciens, je vous ai découverte à travers votre travail. Et comme la photo reflète un peu de l’âme du photographe, vos sujets, Isabelle Ducret, vous racontent.

Votre œuvre, chère consœur, exprime votre professionnalisme, votre courage journalistique, votre souci à rechercher la vérité, votre indépendance dans l’exercice du métier. Autant de valeurs que portait feu Jean Dumur, qui a donné son nom au prix que vous recevez ce soir.

Mais qui est la lauréate ? Isabelle Ducret est une journaliste de télévision qui a, dans un premier temps, prêté sa plume, l’a aiguisée comme elle le dit elle-même, à La Liberté et au Courrier.

Vous avez ensuite travaillé comme journaliste libre avant de rejoindre, en 2002, la grande maison, la Télévision suisse romande. Vous êtes passés par l’Actu avant d’intégrer, en 2010, l’équipe de Temps présent.

Vos thèmes de prédilection touchent aux domaines de la santé, de la justice sociale, de la migration. Vous avez une appétence journalistique particulière pour les reportages à l'étranger. Vous avez montré Gaza, plus de dix ans avant l’horreur actuelle. Vous avez couvert la révolution ukrainienne de Maïdan, en 2014. Vous vous êtes également intéressée aux émeutes de Hong Kong en 2019, un autre point chaud de la planète, à surveiller comme le lait sur le feu.

 

Détentrice d’un master en sciences politiques, après une maturité classique latin-grec, vous incarnez le journalisme d’investigation. On vous décrit sous les traits d’une femme tenace, fonceuse, une journaliste rigoureuse, précise et, surtout, extraordinairement solide dans son travail.

 

Un producteur qui vous connaît bien dit de vous, sans esquisser le moindre reproche, que vous êtes probablement la journaliste qui a généré le plus de litiges judiciaires à l’émission Temps présent : plaintes pénales et civiles, réclamations auprès de l'Autorité indépendante d'examen des plaintes en matière de radio-télévision, ou autres demandes en médiation. Encore récemment vous avez été attaquée par un trafiquant de bois véreux, une furieuse complotiste ou un chauffard qui a la mort de plusieurs personnes sur la carrosserie de sa conscience. A chaque fois, les reproches ont été écartés, preuve de l’absolue rigueur de votre travail.

 

 

Du côté de Temps présent, personne n’a oublié votre reportage, en 2013, avec le réalisateur Mauro Losa, intitulé « Contre Nestlé, jusqu’à la mort ». Une affaire grave, un sujet inattaquable malgré les tentatives de contestations. Ce reportage vous a valu, en 2014, le Prix de l’investigation Figra du Festival international du Grand reportage, damant le pion aux reporters huppés de télévisions européennes, France 2, BBC ou autre ZDF.

 

Parmi plusieurs autres distinctions qui vous ont été remises, signalons encore votre reportage « Téléphone au volant, drame au tournant », qui a décroché l’an dernier le Grand Prix SUVA des médias.

 

Journaliste touche à tout et tout terrain, Isabelle Ducret nourrit une vive curiosité pour l’évolution du journalisme d’investigation. Vous maîtrisez paraît-il comme personne les armes qu’offre la Loi sur la transparence. Tout comme vous utilisez judicieusement les sources d’information publiques. Vous avez notamment expérimenté l’usage de traceurs par GPS, pour une enquête sur des exportations douteuses de déchets plastique, qui ont mystérieusement disparu une fois hors des frontières helvétiques.

Douée d’un sens aigu de la narration, vous alignez les idées. Normal direz-vous puisque I et D constituent les initiales de vos prénom (Isabelle) et nom (Ducret). Des idées de sujet donc mais aussi le sens de l’engagement, engagement sans militantisme. Tout passe par le crible du métier : observer, donner la parole à toutes les parties, enquêter, enquêter encore, synthétiser, raconter.

Un travail que vous réalisez avec obstination parfois, quitte à bousculer votre hiérarchie, en mettant le pied dans la porte. Il paraît même qu’une fois, dans l’impossibilité de convaincre la production de vous envoyer à Gaza où vous sentiez que le devoir vous appelait, vous vous y êtes rendue sur le temps de vos vacances et à vos frais !

Bonne camarade, rieuse et douée du sens de la fête, Isabelle Ducret nous a surtout été décrite comme une grande, une immense, une gigantesque bosseuse : une hyperactive, une perfectionniste.

Isabelle Ducret fait partie de cette race de journalistes que le jury du Prix Dumur s’applique à repérer et à saluer. Puisse, chère Isabelle, votre passion du métier ne jamais s’éteindre ni succomber au découragement alors que la profession est malmenée et en proie au doute.

Le doute n’est-il pas d’ailleurs la vertu première de notre métier ?

Au nom du jury du Prix Dumur, permettez-moi, chère Isabelle Ducret, de vous dire merci et félicitations !

 

Rémy Chételat - Genève, 27 novembre 2024