Prix Jean Dumur 2019

Anne-Frédérique Widmann

Le Prix Jean Dumur 2019 est attribué à Anne-Frédérique Widmann, journaliste, productrice et réalisatrice, notamment à Temps Présent. Le jury salue en elle la conjonction rare d’une journaliste d’investigation de première classe et d’une vaillante reporter de terrain. D’abord pour la presse écrite, elle a signé maintes enquêtes mémorables, notamment sur les fonds juifs en déshérence, l’affaire des infirmières bulgares, la route des migrants. Avec son documentaire Free Men, elle touche au cœur de la question de l’engagement.

Un courage hors normes pour s’aventurer sur les terrains les plus périlleux, comme la Libye. Mais aussi une ténacité dans la quête de la vérité, une intelligence humaine, une droiture et un talent qui lui permettent d’en ramener des reportages à la fois inédits, marquants et éthiquement irréprochables. Le jury du prix des Amis de Jean Dumur salue en Anne-Frédérique Widmann une grande professionnelle qui cumule des qualités rarement réunies dans un même journaliste : celles du grand reporter de terrain et celles du journaliste d’investigation. La cérémonie de remise du Prix, le plus prestigieux de Suisse romande pour la profession, a eu lieu le 13 novembre à Lausanne.

«Je suis très heureuse et honorée de recevoir ce prix magnifique, réagit Anne-Frédérique Widmann. Alors que les médias sont décriés et décrédibilisés par ceux qui veulent les faire taire et sont soumis à des pressions économiques et politiques toujours plus fortes, il est essentiel de soutenir un journalisme libre, indépendant et sans concession dans la quête de la vérité. Merci au grand Jean Dumur d’avoir, par son exemple, placé la barre aussi haut. Merci à tous les grands professionnels qui m’ont entourée, conseillée et soutenue dans mon travail. L’histoire nous enseigne que lorsque les temps sont troublés, il ne faut céder ni sur les valeurs de notre métier, ni sur nos règles déontologiques. Le journalisme d’investigation est essentiel au bon fonctionnement de la démocratie.»

L’an dernier, en mission pour Temps Présent, Anne-Frédérique Widmann a marqué les esprits avec son reportage - réalisé avec Xavier Nicol - Migrants sur la route de l’enfer qui suivait, du Niger à la Sicile via la Libye, des exilés pris dans le piège mortel du désert après la fermeture de la Méditerranée. Le film, depuis, frise les 400.000 « vues » sur Youtube (le record pour un Temps présent). En octobre de cette année, c’est sur la trace de djihadistes bien de chez nous, prisonniers au Kurdistan syrien, qu’elle est partie avec la réalisatrice Marie-Laure Baggiolini  (Sur la piste des damnés de Daech).

«Mais le courage de la lauréate n’est pas seulement celui, spectaculaire, de l’intrépide reporter de terrain, souligne Anna Lietti, membre du jury, qui prononcera la laudatio le 13 novembre. Il y a aussi le courage d’affronter, et de défendre devant une rédaction, des sujets incommodes, complexes, à faible potentiel d’audience. Comme celui des djihadistes suisses, ces bourreaux/victimes que tout le monde préférerait oublier, à commencer par le Conseil Fédéral, qui s’oppose à leur rapatriement.»

Dès ses débuts comme journaliste économique à La Suisse, Anne-Frédérique Widmann a développé une forme de courage encore moins flamboyante, mais d’autant plus précieuse qu’elle est aujourd’hui sévèrement mise à l’épreuve : le refus de la passivité devant les machines de communication des grandes entreprises.

«C’est une libre penseuse, affranchie de tout formatage d’approche, dit Irène Challand, qui fut sa collègue à la rédaction de feu le quotidien genevois et qui a coproduit son documentaire Free Men à la RTS. Dès ses débuts, je l’ai vue sortir de sa zone de confort, aspirer à des enquêtes ambitieuses et exigeantes.»

Comme correspondante aux Etats-Unis pour L’Hebdo et Le Nouveau Quotidien, puis pour Le Temps à son retour en Suisse, Anne-Frédérique Widmann marque l’histoire du journalisme romand avec ses enquêtes sur les fonds juifs en déshérence (milieu des années 1990). Avant de rejoindre la RTS (2003), où elle brille dans plusieurs grandes enquêtes (sur l’affaire des infirmières bulgares, sur celles des otages suisses de Kadhafi, sur les abus de la méthode Grinberg, voir liens ci-dessous) et où elle crée et dirige (2010-2014) la cellule investigation du Département de l’actualité.

Comme enfant puis en famille, avec ses enfants et son mari le dessinateur Patrick Chappatte, elle a séjourné à plusieurs reprises aux Etats-Unis. C’est là qu’elle a réalisé, en indépendante et au mépris de nombreux obstacles, le film Free Men consacré à Kenneth Reams, un Noir américain injustement condamné à mort. Ce documentaire pourrait contribuer à sauver la vie du condamné, porté par un puissant mouvement d’opinion.

Agir sur la réalité au lieu de se contenter de la décrire ? C’est une ambition qu’assume pleinement Anne-Frédérique Widmann. Son exemple interpelle les avocats d’une stricte neutralité journalistique car il pose la question de l’attitude du témoin face à une injustice. S’engager, n’est-ce pas refuser une passivité complice ? A l’heure où les rédactions sont gagnées par le souci de ne choquer personne, le jury salue l’ardeur de cette grande professionnelle qui n’a pas peur de parler haut pour que vive le débat.

La cérémonie de remise du Prix aura lieu le 13 novembre de 12h15 à 14h au Centre de Formation au Journalisme et aux Médias (CFJM), Avenue de Florimont 1, à Lausanne (Auditoire 1er étage).

Elle sera suivie d’un débat sur le thème: « La presse s’engage. Journalisme de solution ou de dénonciation ? » avec comme participants : Joel Marchetti, rédacteur en chef adjoint à RTS radio, Myret Zaki, journaliste économique indépendante, ancienne rédactrice en chef de Bilan, Stéphane Devaux, rédacteur en chef de Arcinfo, Stéphane Benoît-Godet, rédacteur en chef du quotidien Le Temps.

Quelques liens d’archives :