Laudatio du Prix Jean Dumur 2009

L’émission Temps Présent

Quand Gilles Pache m 'a demandé de prononcer l'hommage à TP au cours de cette cérémonie, ma première réaction fut triple. Trois fois non !
Non, d'abord, parce que je suis un peu juge et partie. Je fus moi-même journaliste et producteur de TP, mais alors je me suis dit que face à de tels scrupules, Gilles allait avoir de la peine à trouver un orateur, tellement est impressionnante la liste des journalistes qui un jour ou l'autre ont collaboré à cette émission. Un véritable who' s who du journalisme romand, voire francophone. Mais lâchement, je ne vais citer personne, de crainte de ne pas pouvoir finir la soirée tranquille. Et puis, comme j'étais moi-même producteur de TP pour les 20 ans de  l'émission, je voulais vérifier personnellement  si pour les 40 ans, la sono serait bonne. Parce que pour les 20 ans, où l'émission spéciale avait été diffusée lors d'une méga fête dans la Tour, ça n'a pas été terrible . . .
La deuxième raison de dire non était la peur du ridicule. Qu'est-ce que j'allais bien pouvoir dire d'original sur TP, alors que tout le monde sait que cette émission détient un record de longévité à la TV derrière la britannique Panorama. Et que plus même un enfant n'ignore les 84 prix remportés dans des concours, jusqu'aux plus prestigieux, comme le Prix Italia ou le festival de Monte Carlo. Enfin, je n'allais pas être le 5ge - au moins - à relever que TP s'est toujours caractérisé par le mélange des genres qu'il a su pratiquer. Le grand reportage bien sûr, mais aussi l'enquête d'investigation et le faits de société. La précarité, la sexualité, l'environnement, autant de domaines que Temps Présent a largement contribué à défricher dans les médias suisses, voire même européens. Mais là encore, quitte à manquer d'originalité, j'ai fini par accepter de parler ce soir. Parce que c'est un privilège que de pouvoir rendre hommage à tout le talent journalistique  
et cinématographique qui a fait TP. Sans oublier les caméramans, les preneurs de son, les monteurs, les illustrateurs sonores, les ingénieurs du son et les secrétaires de production. Un peu lèche-botte, j'aimerais enfin associer à ces louanges les directions successives de la TSR qui ont eu le courage et la sagesse de soutenir TP. Et pourtant, lors de certains séminaires, d'aucuns avaient envisagé de supprimer TP. Mais à chaque fois, l'adage cher à Claude Torracinta s'est imposé : « Ne jetons pas le bébé avec l'eau du bain ! »
Ma troisième impulsion à vouloir refuser le redoutable honneur de prononcer cette laudatio découlait des temps que nous vivons. Franchement, avec la crise économique que vivent les médias d'information, peut-on vouloir faire la fête ? Partout dans les rédactions des journaux, il est question de réductions d'effectifs. A la SSR, les projets de convergences ne sont pas faits pour rassurer tout le
monde. Le modèle économique qui a fait vivre les quotidiens ne tient plus la route. Bref, c'est un peu la cata - ou, comme on le dit plus doctement, nous sommes en pleine mutation.
Par les temps qui courent, se réjouir n'est pas facile. Mais là encore, à la réflexion, il y avait une occasion à saisir.
Temps Présent en effet a résisté successivement à l'intrusion de l'audimat, puis des nouvelles méthodes de gestion. Jeudi après jeudi, depuis quarante ans, TP prouve que la qualité paie. C'est un message salutaire
aujourd'hui, tant à l'adresse des journalistes  qu'à celle des patrons de presse et de médias qu'à la société en général.
L'audience, la gratuité et l'interactivité, les fées de ce début de millénaire, n'ont pas réponse à tout. Certes, de plus en plus, elles façonnent les liens sociaux. Mais je ne pense pas qu'elles feront un jour de la bonne information, celle qui sera toujours indispensable à la vie dans une société ouverte et démocratique.
Parce que la bonne information coûte cher. TP est bien placé pour rappeler à toutes les directions de médias l'importance de maintenir des effectifs rédactionnels suffisants. Mais la bonne information a aussi des exigences que les journalistes  doivent revendiquer pour eux-mêmes. C'est à nous qu'il appartient d'approfondir les dossiers dont on ne connaît que la surface. A nous encore qu'échoit le devoir de rendre accessibles au public les problématiques les plus rébarbatives. Et franchement, est-ce que nous autres journalistes nous battons toujours pour cela ? Ne sommes-nous pas tenté de nous consacrer, tous en même temps, aux sujets les plus sexys ? Au mépris de la diversité de l'information, que nous défendons pourtant d'une seule voix quand il s'agit de défendre nos places de travail ?
Aujourd'hui, on l'a déjà dit, les fondements économiques de la presse semblent s'effondrer. Mais on peut craindre qu'elle ne joue là que le rôle d'un précurseur. Il me paraît urgent que la profession dans son ensemble, mais aussi le monde politique et la société en général, réfléchissent à la manière de maintenir à l'avenir des médias assez forts pour qu'ils puissent rester indépendants et critiques.
L'enjeu est capital, mais le sujet n'est pas très vendeur. Et si Temps présent s'y attaquait ?
Bravo à cette émission. Bravo à tous ceux qui l'ont faite, qui l'ont fait évoluer tout en en respectant l'esprit, à ceux qui la font aujourd'hui. Et longue vie à une information de qualité.